Le dîner des Légendes

" Patrimonial "

All star game

C’était l’événement gastronomique de cette fin d’année en Bretagne: le dîner des légendes.
Sorti tout droit de l’esprit de Julien Marseault, que l’on a connu au château de Sable à Porspoder où il avait obtenu (encore une fois) l’étoile, désormais chef de sa propre maison au Restaurant Partage niché dans l’hôtel les Voyageurs à St Renan.
L’idée donc: réunir en une soirée les anciennes gloires de la haute gastronomie bretonne.

En effet pour cette soirée unique les convives ont eu l’honneur de pouvoir profiter des talents de retraités de luxe: Patrick Jeffroy (2 étoiles à l’hôtel de Carantec), Jean Paul Abadie (2 étoiles à l’Amphytrion, Lorient) et Jean yves Crenn (1 étoile au Temps de Vivre, Roscoff) Pour accompagner ces fringants grands pères qui ont imprimés leurs marques durant des décennies dans le paysage gastronomique breton, 2 chefs de talents toujours en exercice avec notamment la présence ce soir là de Stéphane Corolleur, ancien chef pâtissier de Michel Sarran à Toulouse pendant 5 ans et enfin le maitre des lieux, julien Marseault himself.
Bref sur le papier difficile de faire plus attractif, rajouter à cela un show de projections animées sur voute, un cocktail musical et une animation musicale de fin de repas, tout était réuni pour que la soirée reste dans les annales des repas de galas bretons.

It’s time buddies

Memes Tra !

Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous souhaitions souligné l’extrême générosité qui ce soir là fut déversée dans les verres. Julien Marseault agrippe à bras le corps dans sa nouvelle maison la figure de l’Aubergiste qui restaure sans regarder, sans peser au gramme. Pour l’événement Monsieur reçoit le Monde chez lui et monsieur sait recevoir.

Bollinger à discrétion

Au delà des appellations servies ce soir là, (Bollinger, Montlouis sur loire de Jacky Blot, Santenay du Domaine Roux ou encore Poiret de Eric Bordelet) les personnes souhaitant s’encanailler étaient venues au bon endroit, les bouchons tombant plus vite que les feuilles des arbres en cette saison. Dans un contexte corseté depuis maintenant deux décennies où le vin et le restaurant sont devenus des ennemis presque intimes et dans une époque hygiéniste où les mœurs peine à autoriser plus d’une demie coupe de champagne avant d’être taxés de meurtriers en puissance, il est donc presque salutaire à nos yeux qu’une poignée d’irréductibles personnes pour des événements ciblés n’hésite pas à renvoyer leurs convives 30 ans en arrière, pour toucher du doigt une autre vision de la fête, de la réception, du bien manger et du bien boire.

Perspectives

Les consommateurs de jus de baie de goji, d’hard seltzer et autres boissons non genrées étaient les bienvenus …. ailleurs.

Calibre magnums

Au dessus du lot

Le cocktail fut l’occasion pour Julien Marseault de dérouler ses prémices signatures tels que le toblerone chou-rouge/foie gras, le bœuf savora revisité mais aussi les croques monsieur truffés ainsi que l’excellent foie gras maison ou les salaisons de haute volée.

Puis vint le repas.

Huître spéciale Prat ar Coum dans la brume

On débute les hostilités avec une mise bouche iodée: huitre spéciale de Prat ar Coum à peine raidie, grains de caviar éparses et beurre blanc fumé.
Joli travail de complémentarité et d’opposition entre l’iode et le gras, l’huitre joue sur les deux registres ici, d’une part dans son iode naturelle subtilement renforcée par le caviar mais aussi dans le gras de sa mâche qui se poursuit avec le beurre blanc fumé. Belle utilisation à deux visages de l’huitre qui joue à la fois l’élément principal du plat mais également le pivot qui lie l’ensemble avec justesse. Le tout est servi avec une fine chips de pain dont la vacuité texturante contraste avec la limpidité de la composition.

L’audience du soir aura pu mettre un visage sur un nom, très juste initiative que de donner la parole à chaque chef avant chacun de leurs plats pour que ces derniers les présentent et se présente par la même occasion, permettant ainsi à ceux que cela intéresse de découvrir en chair et en os ces anciennes figures mythiques de la restauration qui à leurs époques préféraient le cocon de leurs cuisine plutôt que la lumière de la salle.

La déclinaison tourteau/pomme verte de Jean Yves Crenn fut de bonne facture mais souffrait de quelques défauts d’équilibre.

Tourteau/Foie gras/Pomme granny

Une anguille difficilement perceptible car pas assez présente et une alliance tourteau/foie gras qui tire beaucoup trop sur l’opulence du foie gras, éclipsant sans effort la délicatesse du tourteau. le plat aura peiné à totalement nous convaincre, pourtant la pomme verte apporte une fraicheur et un fruité salvateur et le plat retrouve de belles notes crustacées en fin de bouche si l’on pense bien à associer la crème de corps d’araignée.
Résultat en demi-teinte.

En parallèle du spectacle des assiettes( le plus important) un autre spectacle visuel se déroulait au plafond avec des projections sur voute d’ambiance essentiellement marines.
La promesse était la suivante :  » Une immersion musicale et lumineuse unique qui vous plonge dans l’univers gastronomique des chefs » Si l’effet whoaa est indéniable durant la première demi heure on a eu beaucoup de mal à voir des liens directs avec les univers gastronomiques des chefs respectifs, exception faite sur le carré de veau, le tout servi par un affichage au framrate souvent souffreteux. Pour autant jamais de tels efforts n’avaient été déployés pour ce genre de repas et nous saluons ici la volonté de créer un vrai événement qui marque les esprits comme aucun repas de gala en Bretagne par le passé. A recommencer? le débat est ouvert.

St Jacques/Caviar Sturia/Artichauts

Moment de Bravoure du repas: les St-Jacques en chaud/froid, caviar osciètre, artichauts violets et trompette de Patrick Jeffroy.
Plat tonitruant sur la rondeur grâce à une sauce vin blanc-verveine absolument mémorable. Cette dernière lie l’association marine/terrienne qui joue essentiellement sur des textures fondantes dont le délicat artichaut émincé apporte une rusticité délicate. La mer et la terre sont scindées par un disque de sarrasin croustillant qui malheureusement était légèrement détrempé ( vapeur d’humidité de la sauce?) Il demeure un plat parfaitement marqué gustativement avec une longueur en bouche incroyable grâce à cette divine sauce.

Bar à la Vanille

Plat signature de Jean Paul Abadie, le bar à la vanille arrive dans son apparente simplicité si chère à Jean Paul. Le bar magnifié par une cuisson douce, la peau servie croustillante pour apporter gourmandise et relief, la sauce vierge à la vanille, délicate, odorante, accompagne magiquement la délicatesse du bar et pour éviter de tomber dans la monotonie gustative, la purée de céleri boule apporte les teintes anisées puissantes, terreuse, qui équilibre parfaitement l’ensemble. Un plat de légende, aussi bon ce soir comme il y a 10 ans. Iconique

Partage

La partition salée ne pouvait se terminer autrement qu’avec un plat à l’image du chef de maison. Ce soir là un veau entier de l’élevage de Mesbiodou dont le carré et le filet furent servis pour l’ensemble des 80 couverts. Cuisson de pièces entières de + de 3 kilos présentées aux convives avant la découpe. Le plat n’avait aucune vocation gastronomique de premier ordre, ici il ne fallait pas aller chercher la complexité des alliances ou la maitrise d’un dressage, le ton est donné, la ligne est simple: une viande exceptionnelle, un jus démoniaque venu tout droit des enfers , un accompagnement légumier simple, Basta cosi!

Filet de Veau, jus à l’ail et au thym, purée de pomme de terre truffée

Alors était-ce mémorable? à n’en pas douter, nous saluons ici la maitrise de la cuisson, juste parfaite, et la technicité des jus. Julien Marseault sonne la charge des grands maitres sauciers tout en convoquant l’imagerie des rôtisseurs d’antan. Nous en aurions repris 10 fois, si cela avait été possible, à défaut la magnifique purée de pomme de terre aux truffes à elle eu droit à un rappel en petites casseroles cuivrées.
Cela s’intègre t’il de façon cohérente avec tout ce qui avait servis jusqu’ici? non. Était-il pour autant hors sujet? la aussi le débat est ouvert, on peut le voir comme une volontaire mais audacieuse parenthèse de simplicité à l’exécution parfaite dans un repas de haute gastronomie tout en dressage et accords.
Mais on peut tout aussi bien porter un œil critique quand à la trop grande simplicité (simplisme?) de servir une tranche de filet de veau accompagnée de purée et d’une carotte dans un repas de gala à plusieurs centaines d’euros le droit d’entrée. A titre personnel nous nous retrouvons un peu dans les deux camps. Plus embêtant l’intitulé du plat promet: carré et filet alors qu’au final la composition de votre assiette dépend du morceau que l’on découpe au moment où l’on dresse cette dernière. Quand à la cristalline de pomme de terre qui était annoncée, nous la cherchons encore en écrivant ces lignes.

Érudition sucrée

Pour terminer c’est un breton expatrié dans le sud qui a été chargé de s’occuper de la trilogie sucrée. Stéphane Corolleur à déroulé une maitrise et un savoir faire époustouflant lors de ce grand dîner.

Choux-fleur-vanille/ mandarine

La Balade gourmande du Léon, signe dès l’entrée une ligne directrice: les desserts ce soir seront des desserts de cuisiniers.
Ici on convoque les gouts et les ingrédients pour des mariages détonants. La vanille épouse le chou fleur dans un nuage délicat et croquant, qui vient trancher la mandarine légèrement acidulée entre granité et plein fruit.
Équilibre, justesse, pertinence tout fait sens ici dans ce condensé de savoir faire hautement technique.

Car la technique va continuer de se déployer dans le dessert: Bohème marine, pomme et miel.

Bohème marine, blancs soufflés, pommes, miel de bruyère

Soutenu par un visuel pointu, on navigue entre les délicates notes d’algues marines, l’écume en blanc manger trouve sa gourmandise dans un caramel de pomme et toute l’expression du plat se cristallise autour de cette glace au miel de bruyère presque désaturé en sucre. L’ensemble accouchant d’un dessert presque poétique, d’une finesse et d’une légèreté totalement à propos en cette fin d’agape. Un dessert fils de son temps, gourmand mais peu sucré, technique et visuellement abouti sans oublier d’être terriblement bon.

Enfin la tartelette noisette/café, régressive et légère comme un nuage fut la dernière flèche décochée par stéphane Corolleur et comme toutes les autres elle touche le mille.

Ce fut à n’en pas douter le plus beau repas qu’a connu la Bretagne dans cette catégorie spécifique. De part l’extraordinaire réunion de talents qui ont officié ce soir là d’une part mais aussi par tous les efforts démesurés mis en place par Julien Marseault et son équipe pour recevoir ses hôtes en son auberge.
Tout ceci est à saluer, il y eu bien de la magie dans l’air ce soir là, mais elle était pour nous plus à aller chercher dans ce qui se trouvait à table que dans le décorum.
L’idée est excellente, la volonté de bien faire présente,la générosité débordante, la ligne à recentrer, l’exécution à affiner.

Verdict :

Cuisine remarquable

Le dîner des Légendes

par Feed-Me
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