Paradise Lost
L’empire Roellinger compte en son sein un certain nombre de demeures majestueuses dont la maison de Bricourt aujourd’hui appelée « la maison du voyageur » qui fut d’ailleurs le temple dans lequel brillaient les trois étoiles d’Olivier Roellinger. Mais le château Richeux est sans aucun doute le joyau de la couronne.
Mis à part le restaurant « le Coquillage », la propriété héberge un hôtel et un vaste parc dans lequel on retrouve dans le désordre: un jardin aromatique de premier choix, un verger, des ruches, un four à pain, un fumoir…. le tout surplombant la baie de Cancale avec un accés quasi-direct les pieds dans l’eau.
Tes mots, mes idées
Aujourd’hui,la cuisine, servie au Coquillage, a su trouver sa singularité.
La cuisine d’Hugo Roellinger sublime surtout et avant tout la pêche ( quelle soit de bord de mer ou des profondeurs) et les assiettes proposées ce midi avaient pour la plupart l’originalité nécessaire pour investir officiellement Hugo Roellinger comme chef à part entière et non comme scribe copiste du Maitre et père Olivier Roellinger.
A ceci près tout de même que cinq plats sur six étaient concoctés avec la fameuse grammaire épicée de papa et que le homard au cacao est servi ici comme il l’était à la maison de Bricourt il y a près de 15 ans. Il est difficile de rompre complètement avec l’héritage de l’empire paternel.
Pourtant, même si la figure d’Olivier Roellinger flotte sur le lieu, en cuisine, « le fils de » a su trouver sa voie.
Une cuisine à la hauteur du lieu
Si l’écrin est sublime, ce qu’il cache est digne d’une grande considération.
La cuisine servie nous aura souvent touchée au coeur par des compositions simples mais percutantes comme ce chou-fleur/ encornet en noir et blanc: alliance incroyable entre fraicheur et densité.
L’émulsion cardamome noire ainsi que le fumet de têtes venant apporter un contrepoint magique sur la tendresse et le croquant du légume et de l’encornet.
De même, les langoustines/yaourt jouent la carte du grand plat avec une acidité totalement maitrisée du jus ananas/passion qui vient donner du relief aux notes presque lactiques de la langoustine crue.
Les coquilles St Jacques travaillées avec les agrumes du jardin déclinent le registre de l’amer avec brio. Le plat frappe d’abord par la qualité incroyable de ces matières premières puis par le travail d’équilibriste sur les notes d’amertume entre une main de boudha qui domine avec des tessitures hautes et un bouillon puissant mais légèrement sucré, plus réconfortant. Deux compositions bien disctinctes dans leur création et dans les buts qu’elles visent à atteindre, un même verdict: des grands plats.
S’il sait faire dans l’apparente simplicité, Hugo Roellinger sait également s’engouffrer sur des chemins plus périlleux, comme en atteste cette alliance peu commune entre l’oeuf, la truffe et l’araignée. Si l’accord oeuf confit et truffe n’est plus un chemin inexploré, l’alliance avec la délicate chaire de l’araignée et le bouillon kombu est, elle, une première à nos yeux. Ce plat sophistiqué repose sur la double longueur en bouche des élements les plus goûteux du plat que sont le bouillon et la truffe. L’alchimie est pertinente, la composition, osée. Il est juste légèrement regrettable que la finesse de l’araignée passe inévitablement au second plan dans cette création. Mais l’exploration culinaire n’aboutit jamais à des plats remarquables du premier coup. L’ensemble a le mérite d’être déconcertant et d’offrir de nouvelles grilles de lecture sur des accords connus. On salue donc ici l’effort et la prise de risque.
Au registre des écueils qui fâchent, nous évoquerons en premier lieu, le travail sur l’estran.
Une volonté de magnifier l’expression marine par le prisme de l’iode à travers des huîtres plates et des praires dans un bouillon d’algues. Sur le papier, l’idée est très bonne. Elle est par exemple utilisée chez Christopher Coutanceau à la Rochelle dans son pendant sucré qui a abouti à un dessert absolument magistral. L’huître, le wakamé, la dulse et les praires, tout ici concourt d’un même biotope qui donne une cohérence évidente au plat. Malheureusement, le grain de sable qui vient gripper la mécanique n’est justement ici rien d’autre qu’un grain de sable. Plusieurs, pour être précis, les praires mal préparées délivrent ici du sable disgracieux qui vient ruiner l’ensemble de l’expérience gustative. Quel dommage!
L’alliance dorade et fenouil sauvage/aneth joue sur la lisière dangereuse séparant le simple du simpliste. Si le plat reste légèrement convaincant, son traitement manque d’engagement.
(Presque) comme chez Monsieur Paul
En effet, le lien qui unit le Coquillage à la table de Colonges au Mont d’or est la partition sucrée qui se joue ici comme chez Paul Bocuse: sur un plateau.
Et disons-le tout de suite, cette pratique malheureusement tombée en désuétude (à la fois pour des questions d’époque mais aussi et surtout pour des questions financières ) sait inévitablement éveiller l’intérêt du gastronome qui se respecte quand apparait en salle la légion des desserts.
Sur le principe, c’est donc un grand oui à nos yeux. La profusion de l’offre est bien présente citant pêle-mèle: la tarte aux agrumes, les glaces maisons, les profiteroles faits minute, le Paris-Cancale, les verrines chocolat-fruits exotiques, l’inénarrable mille-feuille trônant en majesté, la tarte chocolat/caramel, les macarons….. alors une fois encore, oui, mille fois oui de dérouler ainsi le tapis rouge pour les becs sucrés de France et d’ailleurs.
Cet hommage à un temps révolu, ne fait que donner encore plus de singularité et donc de visibilité, aux tables qui s’enorgueillisent de le remettre au goût du jour. Sauf que voilà, il faut tout de même que techniquement le niveau soit aussi présent et c’est là que le bât blesse. En cette veille de fermeture annuelle pour congés, les desserts du Coquillage nous auront paru nettement en dessous de la partition salée qui la précédait. Que ce soit le Paris-Cancale qui tente l’association redondante des fruits à coques noisette/pistache (peu convaincante) ou bien le mille-feuille manquant de tenue et de profondeur de goût. L’ensemble, manquant de finesse, nous aura laissé sur notre faim. Cruelle ironie du sort devant une telle débauche de propositions. La tartelette aux agrumes, équilibrée et subtilement dosée en sucre, fait toutefois exception à la règle.
Faire plus c’est faire mieux?
Dans le domaine des singularités, le Coquillage d’Hugo Roellinger possède quelques as dans sa manche, qui, s’ils sont appréciés des comptables, posent malgré tout quelques questions légitimes.
Le Coquillage est aujourd’hui une des très rares tables étoilées du Grand Ouest à être ouverte 7/7 aux deux services. Factuellement, il va sans dire que contrairement aux tables où il n’y a pas de service quand le chef est absent (sisi heureusement ça existe encore même en Bretagne), ici, Hugo Roellinger ne signe pas tous les repas.
Si, dans d’autres maisons, le doute peut toujours subsister dans la mesure où l’on ne voit pas toujours le chef, ici au moins, on en est sûr. En effet,Hugo Roellinger n’etant pas une machine, il a aussi le droit de se reposer. Mais quid des services ces jours-là, quid d’une maison étoilée où l’on sait sciemment que le chef n’est pas tous les jours en cuisine?
En corrolaire d’une ouverture 7/7, vient la question du nombre de couverts qui, ici aussi, est largement au-dessus des confrères jouant dans la même catégorie. L’air du temps étant pourtant à une limitation du nombre de couverts pour assurer un service et une qualité irréprochable, le château Richeux navigue, ici, en vent contraire. Et pourtant, malgré ces points qu’il était intellectuellement important de mettre en avant, ni la possible absence du chef ce jour là, ni le nombre important de clients attablés ce midi-là, n’aura mis en péril la qualité intrinsèque de l’expérience gustative.
Et parmi les quelques points non abordés en détail, nous finirons par tirer notre chapeau aux selection fromagères ainsi qu’au beurre sourcé par la maison.
« Le beurre de madame » est le fruit du travail de Thierry Lemarchand à Pacé qui, s’il fait moins d’émule que celui de David Akpamagbo, son homologue finistèrien, il n’en est pas moins remarquable. Le Coquillage, étant à notre connaissance la seule table bretonne à le référencer, il faut absolument y aller manger une fois rien que pour cette merveille.
Dans les réponses aux questions soulevées, se cache, à n’en pas douter la clé pour que le Coquillage puisse dépasser le plafond de verre qui est aujourd’hui le sien. Hugo Roellinger frappe malgré tout fort et règne dans son château sur une cuisine qui mérite bien plus qu’une simple étape.
Le Coquillage
• Le Buot, 35350 Saint-Méloir-des-Ondes
• Ouvert 7 jours sur 7
www.maisons-de-bricourt.com/?page=chateauricheux
Verdict :
Cuisine brillante