Abadie & son
Difficile d’aborder la cuisine de Luc Mobihan sans évoquer les liens forts unissant les époux Mobihan à Jean-Paul et feu Véronique Abadie.
Luc, ancien second de Jean-Paul à Lorient, prodigue en effet dans ses murs une cuisine visant à ériger le produit comme la seule star de l’assiette. Ici, pas de cuisine trop réflechie mais plutôt des compositions n’alliant rarement plus que trois ingrédients.
Le but: viser le coeur plus que l’intellect.
L’ancien second du chef historique de l’Amphitryon perpétue d’une façon plus ou moins évidente et plus personnelle les thématiques et le chemin initié par Jean-Paul Abadie. La cuisine d’apparente simplicité du maitre trouve donc toujours un écho des plus vivaces au Saint Placide.
Le maquereau/fenouil ou la St-Jacques/truffe servis ce soir-là nous renvoie immédiatement à des créations phares servies jadis à l’Amphitryon comme les huitres plates vermouth ou les saint-jacques crues et oeuf de poulette, dans l’esprit du moins.
Dans cet écrin cosy, Isabelle Mobihan joue les maitresses du vin avec brio et insufffle sa personnalité au détours d’arts de la table, de tableaux et décorations inspirés et souvent uniques en Bretagne. On retrouve entre autre le travail d’Aurélie Abadie, pour parachever, si il le fallait la filiation si forte unissant les deux familles.
In Naturalibus
Une cuisine sans artifices, sans maquillage ne cherchant qu’une seule vérité: rendre hommage au produit. Peu de transformation donc, des cuissons qui érodent peu la matière, à peine brûle t-on la surface du maquereau pour conserver une chair presque crue. Les cuissons sont d’ailleurs un des points forts de la cuisine du Saint Placide. Snackés, blondis, rôtis, brûlés, confits… Luc Mobihan nous dévoile le temps d’un menu l’étendue de son savoir-faire et de sa maitrise des cuissons quel que soit le produit.
Parmi les créations les plus marquantes du moment, nous retiendrons le lieu jaune et « célerisotto »: à la cuisson superbe se rajoute une belle construction de plat entre les fines notes herbacées du lard di colonnata et les notes terriennes du céleri et des truffes. Les oignons frits apportent un peu petit plus de structure non déplaisante bien que légèrement accessoires. Un plat puissant, efficace et totalement maitrisé.
Le turbot, un plat qui brille par son épure. Tel atlas portant le monde sur ses épaules, la fantastique cuisson au sel fumé du turbot porte ici tout le plat. A peine accompagné d’un beurre blanc, ce plat limpide vise la cible en plein coeur. Bluffant
Le ris de veau, orange et légume d’hiver parachève cette magnifique séquence. Un plat gourmand et profond grâce à son jus réduit d’orange qui met en avant les beaux gestes maitrisés de cuisinier. Un travail qui n’est pas sans rappeler le ris de veau orange et yuzu de Patrick Jeffroy à Carantec. Si l’accompagnement légumier reste un peu simple (et nous touchons donc ici les limites d’une telle cuisine qui, si elle fait dans la mise à nu du produit est souvent concomittente de compositions qui jouent sur la ligne entre simple et simpliste) la belle noix de ris de veau blondie rend le plat probant.
Les langoustines en raviole ne sont pas en reste que ce soit au travers de la réalisation technique (sans faille) ou bien de leurs cuissons encore nacrées dans leurs fins cocons. Le contraste entre la fraicheur de la coriandre et la sauce parmesan avec sa pointe de salinité bienvenue est très réussi. L’ensemble joue sur des notes pianissimo tout en délicatesse.
Ce genre de cuisine peu démonstrative et qui brille par l’absence de camouflage prend, en contrepartie, constamment le risque de donner plus de lumière au moindre faux pas. La moindre erreur ressort d’autant plus quand rien ne vient camouffler, quand rien ne vient rattraper.
Quand un plat comme le maquereau ne propose dans l’assiette qu’un maquereau passé à la flamme et un fenouil émincé à cru, il va sans dire que le manque d’assaisonnement de la « salade » de fenouil ressort de façon exponentielle. Grèvant littéralement la moitié de la composition du sceau de la faute, laissant le plat totalement atone.
L’églefin traité en sashimi prépare idéalement le début de repas avec la douce crème de chou-fleur. On reste pourtant perplexe sur le traitement du chou-fleur rôti/fumé servi froid. Pourquoi cuire un légume à dessein si tout le développement arômatique que cela entraine disparait par une température de service inappropriée? La question restera pour l’instant en suspens….
La technique fait de la résistance
Malgré tout, il semblerait que la section sucrée du restaurant le Saint Placide ait décidée d’afficher fièrement l’engagement technique au fronton de la porte. Les desserts auront été de grandes réussites dans leurs genres respectifs. On commence par une proposition chocolatée tout en puissance, jouant l’exubérance maitrisée avec les oranges et le gingembre confits totalement regressifs. Le jeu de texture est superbe entre la quenelle glacée à la juste température, la fine tuile caramel et le biscuit chocolat qui termine une composition brillante.
Enfin, le clou du spectacle: l’assiette chocolat blanc/ fruits exotiques qui tel un bouquet final envoie toutes les dernières forces que la brigade gardait sous le coude pour un résultat aussi beau que bon. La mousse délicate chocolat blanc-coco cache une gelée semie-prise passion/mangue délivrant ce qu’il faut d’acidité pour relancer la machine face à un trop plein de gourmandise. La tuile passion est un exemple à enseigner dans les CAP de pâtisserie. Un plat digne de deux étoiles haut la main pour un tel travail d’équilibre et de gourmandise tout en justesse. On termine avec des mignardises de haut vol, ce qui est assez rare dans la catégorie.
Vaisseau amiral de la haute gastronomie dans la ville de Saint-Malo, le Saint Placide de Luc Mobihan se veut une table » à part » dans l’univers des étoilés bretons, une table à l’épreuve des modes et des gimmicks.
Luc Mobihan, au sommet de son art? Ce n’est pas improbable. Nous délivrant une cuisine cohérente et maitrisée qui tente de s’effacer derrière le produit, Mr Mobihan rappelle dans chaque assiette que l’égo ici n’a pas sa place. On sait l’homme assez taiseux et préférant l’anonymat du pass aux lumières de la salle, on comprend donc encore un peu mieux la démarche et les motivations qui sous-tendent cette cuisine.
Le Saint Placide
• 6 Place du Poncel, 35400 Saint-Malo
• Ouvert du mercredi midi au dimanche midi
Verdict :
Cuisine maîtrisée