En à peine cinq ans, Jérémie le Calvez a imprimé son nom de façon indélébile sur la scène de la haute gastronomie Bretonne. Ce chef pourtant discret et taiseux est devenu aujourd’hui un acteur majeur de la cuisine bretonne contemporaine. Une façon comme une autre de s’en convaincre? Il suffit de voir où les chefs étoilés bretons (mais pas que) convergent pour aller manger.
Il faut dire que la cuisine de Jérémie Le Calvez ne souffre aujourd’hui que de très peu de reproches. Aussi à l’aise dans le répertoire classique que dans les techniques contemporaines. Son auberge de la pomme d’api est devenue un lieu absolument incontournable, sa cuisine: une réference régionale.
One man army
La grande force de Jérémie Le Calvez est d’être un chef qui sait tout faire. Son parcours lui a permis d’acquérir des compétences ultra solides dans le domaine entre autre de la boulange: qui à cinquante ans n’a pas encore gouté les pains feuilletés au boudin noir de la pomme d’api a forcément d’une certaine façon rater sa vie.
Le sucré? il n’a aucun secret pour lui. Ancien chef pâtissier du Questembert, Jérémie démontre dans ses créations une technique à tout rompre. Et c’est presque sans surprise que l’on apprend que le champion régional junior du championnat de France des desserts, Paul Pipard, travaille sous ses ordres. La pomme d’api: une école de champions? Rien n’est moins faux quand l’on voit le talent que déploie le jeune Julien Corderoch, ancien second à la Pomme d’api et futur étoilé de 2019 au restaurant Louise à Lorient.
Mais l’essentiel n’est pourtant pas là. Sa cuisine repose sur des bases techniques et des compétences de chef saucier qui force le respect. Si la cuisine servie à la pomme d’api s’efforce de mettre en avant la richesse maraichère de son terroir au travers d’accompagnements légumiers travaillés, on pense ici notamment à ses fameux roulés de pommes de terre ou à sa facon de sublimer les légumes racines, c’est avant tout grâce à la force des sauces et la profondeur des jus que la cuisine de Jérémie Le Calvez a su marquer au fer rouge la gastronomie bretonne.
Là où certains chefs savent tout faire à peu près, lui sait à peu près tout faire excellement.
Deep impact
La cuisine de Jérémie Le Calvez ne peut vous laisser indifférent. La puissance et la générosité des plats servis à la pomme d’api peuvent avoir sur vous le même effet qu’un météorite s’écrasant sur Terre. Violent, destructeur. Mais l’homme sait manier le style et battre la mesure. Alors toute explosive et ébouriffante que puisse être sa cuisine, elle sait toujours le faire avec des formes, et quelles formes!
De l’élégance et de la sophistication que l’on retrouve dès l’entrée dans cette alliance terre-mer boeuf/huitres/caviar où les contrastes de ton et de saveurs sont probants. On tombe à la renverse quand à l’utilisation ingénieuse du coulis d’épinards, qui non content de rafraichir un peu l’ensemble, prolonge en bouche la pertinence iodée de l’émulsion d’huitre ainsi que la délicatesse saline du caviar. On continue les accords marins et terriens avec ce foie gras et anguille fumée accordés aux topinambours et algues pour un rendu bien éxécuté et subtilement assaisonné.
Le tartare de St Jacques/noisettes/chou-fleur nous propose une variation sur le thème du blanc de toute beauté. La composition maline joue sur les accords ronds entre les fruits à coques et le coté satiné de la St-Jacques. Le chou-fleur décliné en tuile, quenelle glacée, rapé à cru est ici pleinement mis en valeur. Ce dernier termine sa variation sur un velouté venant faire le contrepoint chaud dans ce jeu de température et de textures. C’est malheureusement ici que nous prenons Jérémie le Calvez en flagrant délit de faute technique. Nous arriverons donc tout de même à trouver une faille dans l’armure apparemment impénétrable de la cuisine de Mr le Calvez en la présence de ce velouté servis en saucière et qui se déverse dans l’assiette avec la grâce d’un éléphant en ballerine. Epais, presque pateux et pateau, si le goût lui est bien là, la fluidité et la grâce sont restées quelque part derrière le pass au moment de l’envoi. Dommage!
Au registre des plats devenus cultes au fil des ans, impossible de ne pas mentionner la langouste et légumes racines/jus de têtes. La belle variation entre les scorsonères, les topinambours et le cerfeuil tubéreux se double d’une multiplicité des textures: en purée, rôtie, frie qui accompagne la langouste cuite à la perfection et son jus addictif. Un plat pôlit au fil des années pour délivrer aujourd’hui une certaine forme de perfection, presque contemplatif.
A force de chanter les louanges de maitre saucier de Mr Le Calvez, on en oublierait même sa maitrise des cuissons. Heureusement, le turbot sauce champagne est ici pour remettre les pendules à l’heure. En effet, on se retrouve devant un tronçon de turbot dont les chairs ne se découpent pas mais s’effeuillent, une gageure quand on connait la typicité serrée des chairs du turbot. Un poisson noble ici totalement sublimé par une cuisson à apprendre dans les écoles de cuisine, une sauce champagne dont on aimerait pouvoir en ramener des seau à la maison et des gnocchis d’épinards délicats qui viennent prolonger cette construction pensée comme un oreiller moelleux.
La volaille sauce albuféra fut à n’en pas douter un des grands moment du repas. Le chef démontre beaucoup d’intelligence dans sa composition de plat avec la présence du citron confit en condiment qui vient casser l’opulence de la sauce albuféra. La présence d’artichaut confit dans la farce donne du relief et un ancrage terrien bienvenu. De même, les belles notes alliacées viennent vivifier le propos du plat. C’est très bien pensé, très bien éxécuté. En effet, la cuisson de la volaille, si elle est de bonne facture, aurait pu être meilleure. Nous avons d’ailleurs par le passé à de multiples reprises manger des volailles cuites à la perfection à ce même siège. On sait donc que le chef peut et sait mieux faire. Il demeure un très grand plat où le visuel dispute la suprématie à l’équilibre des goûts.
Quand Jérémie Le Calvez décide de sublimer le légume en l’habillant d’un smoking sucré, cela donne le maïs, caramel et courge. Un dessert audacieux, qui joue totalement la carte de la gourmandise assumée. Un dessert phénoménal alliant le caramel croustillant en coque, le crémeux de maïs presque liquide ainsi que le sorbet butternut qui déroule ses notes légumières allègeant ainsi l’excédent de sucrosité. On termine en bouche avec une finale légèrement beurrée du plus bel effet.
Pour conclure, petite exégèse du dessert créé en collaboration avec le chef et présenté par Paul Pipard pour le championnat de france junior des desserts. Ce « finger d’ailleurs » qui joue sur l’alliance du praliné et des notes d’amertumes développées par le citron confit et le poivre de Timut à effectivement tout de la bête de concours. Un subtil contraste entre la gourmandise primaire du pralin et les notes claires des agrumes, un dessert tout en point et contrepoint comme cette opposition de bon ton entre la mousse vanille rassurante et l’amertume de la glace au povire de timut avec son subtil goût de pamplemousse. Un dessert texturé ou l’on retrouve le craquant, le fondant le mousseux, le givré. Un dessert où l’équilibre global de la composition apparait clairement dès le premier coup de cuillère transversal. Du beau travail.
Le talent à l’étroit
En effet Jérémie le calvez partage avec le génie de la lampe une problématique commune: l’exiguïté de sa cage dorée.
Il lui restait donc de pouvoir s’offrir un cadre à la hauteur de ses ambitions et de son talent. Difficile en effet de proposer une expérience globale de haut standing dans les murs et la cuisine étriquée du 49 Rue Verderel. Cependant, Jérémie Le Calvez et sa femme Jessica ont un cinquième as dans leurs manches et il s’appelle le Clos St Yves. C’est dans cette belle demeure bourgeoise du coeur de Saint-Pol-de-Léon que va sortir de terre la future arme fatale pour aller conquérir les deux étoiles que tout le landerneau gastronomique attend de voir tomber dans le Finistère. La nouvelle Pomme d’Api s’encrera ainsi derrière les épais murs de pierres de la bâtisse où le verre contemporain viendra se marier à l’identité bretonne de la pierre pour un futur écrin à la hauteur de la cuisine et des ambitions de Jérémie Le Calvez. Couverts en nombre raisonnés, verrière pour les petits déjeuners avec vue sur le jardin, salle annexe pour les réceptions nombreuses, et d’autres aménagements tenus encore secrets. Tout est prévu pour que les gastronomes de tous bords y trouvent leur compte quel que soit le type de moment qu’ils veulent y passer. Nouveau départ, Reboot d’une « success story » dirons-nous car c’est de ce nouveau point 0 que Jérémie Le Calvez déploira l’intégralité de ses forces pour partir à la conquête du monde gastronomique. Tel un lion en cage, il ronge son frein, tels des railsbirds nous observons patiemment et attendons le second impact du météor breton. Les prévisions sont alarmantes, le choc sera fatal. Une nouvelle ère commence bientôt.
Auberge de la pomme d’api
• 49 rue Verderel, 29250 Saint-Pol-de-Léon
• Ouvert du mardi midi au dimanche midi
Verdict :
Cuisine remarquable